Cruelle résilience.

Texte écrit dans le cadre du Novembre de l’écriture en Novembre 2023.

Chaque jour, un mois ( en italique dans le texte) était imposé… Les chemins de la résilience ne sont pas toujours linéaire et progressif mais ils sont et c’est le principal! Bonne lecture…

  1. Le manuscrit de sa vie

Elle revoit souvent ce moment. Cet instant gravé en elle à jamais comme dans un manuscrit. Ce banal geste quotidien, témoin de quelque chose qui n’allait pas bien. Beurrer une biscotte. Difficile ? Pour elle, ce matin-là, impossible. Puis très vite, il y a eu les bruits, les images qui deviennent floues et le sol qui se dérobe sous ses pieds. Une chute. Le visage contre le carrelage et les cris. Pas de douleur mais une peur qui saisit au ventre, le froid et une dernière énergie pour reprendre ses esprits. On l’a relevée, l’a assise sur le canapé et ça allait déjà mieux. C’est rien… Juste un petit coup de fatigue, ça va passer. « Je veux aller travailler », a-t-elle affirmé. Mais non, elle est partie avec les pompiers.

  1. Dans la toundra

Elle voit ces paysages déserts de toute végétation. Elle sent l’air frais, elle imagine les couleurs et elle respire. Comme pour s’évader vers un endroit-refuge, un endroit où tout est calme et où tout cela n’a pas existé… Elle inspire calmement et regarde la toundra. Elle médite dans le calme de sa chambre d’hôpital… Pour le moment, le paysage est vide et stérile. Il lui faudra quelques temps avant de voir fleurir ici ou là de beaux projets ou des envies. C’est encore glacé mais dans quelques mois, l’océan et le soleil viendront la réchauffer… Soutenue par les idées positives, elle réanime doucement sa vie… Du moins, elle essaye.

  1. Le kaléidoscope des émotions

Elle parle. Elle bouge un peu, elle lève un bras, puis la jambe. Elle s’assoit, elle mange seule et boit. Elle se lève et fait quelques pas épaulée puis sans soutien. Elle devient plus autonome, moins dépendante. Elle sort une fois de l’hôpital puis définitivement mais elle y revient. Elle marche beaucoup plus et fait même quelques pas de danses. Elle sourit, elle rit, elle vit. Elle cuisine, elle dort et elle avance. Elle reconduit et reprend confiance. Elle court à nouveau. Sous les yeux de ses proches, elle combat aussi son pire ennemi : elle. Le kaléidoscope tourne, il reflète ses progrès comme un arc-en-ciel entre la pluie et le soleil. Toujours incertaine, dans la lunette, les couleurs s’unissent et s’inversent pour contrer sa peur.

  1. Les missives interdites

La boîte restera encore scellée. À l’intérieur, ces lettres qu’elle avait écrites pour ses proches, « au cas où » , pour leur dire tout son amour. Ces missives qu’on ne voudrait pas recevoir, qui signaleraient la fin, sa fin. Des mots qu’elle ne pourrait plus leur dire, jamais… Sûrement qu’ils entendraient sa voix les lire et qu’ils pleureraient mais elle ne préfère pas l’imaginer. Non, elle est simplement heureuse que cette boîte reste fermée et encore pour des années! Elle se bat pour ça… Garder l’espoir de cette vie dont il faut encore plus profiter… Malgré cette parenthèse…

  1. Vaciller quand même

Elle va de mieux en mieux. Les ennuis sont déjà bien loin. Un mois, six mois, un an, deux ans… On ne voit plus rien, elle va bien. Elle cache son jeu . Au quotidien, elle ne dit rien, non. Rien de ce qu’elle ressent, de ce qu’il reste au fond… Elle vacille entre les émotions : les angoisses et les démons qui provoquent dans son être cette drôle de sensation que tout va encore basculer. Elle sourit et ne lâche jamais. Elle enrage et elle est rongée par ses doutes, ses tristesses, ses peurs et ses colères. Elle ne dit rien. Jamais. Elle ne doit pas montrer. Elle ne doit pas retomber car elle va bien. Ça va aller… Ça va passer. Elle est forte et résiliente. C’est ce qu’il faut montrer pour rassurer. Assurer.

  1. La stèle du monument aux morts

Elle s’interroge en déposant le bouquet près de la stèle du monument en ce jour de commémoration : « Morts pour la France ». A quoi pensaient ces soldats au dernier instant ?

Très vite, trop vite, elle a repris à mi-temps. Elle avait ce besoin aussi de retourner au front. Ce besoin de se confronter et de savoir si elle pouvait encore enseigner. Le matin, elle est à nouveau «maîtresse ». Le reste du temps, épuisée, elle dort… Elle pétille encore d’idées mais a appris à déléguer. Elle reconnaît les difficultés : les préparations sans fin, les corrections, les réunions parfois inutiles et les désillusions. Sur le visage de ses collègues, les traits tirés, elle relit sa vie d’avant. Elle qui ne s’écoutait pas et a tiré jusqu’à saturation…

  1. indéniablement mieux habillée.

Elle le sait mais se demande encore si elle regrette. Ce ne sera plus jamais comme avant. Indéniablement. Elle a quitté un costume qui ne lui convenait plus de manière brutale et forcée. Mais est-ce qu’elle n’est pas aujourd’hui mieux habillée ? Il y a les inconditionnels de l’âge d’or : « C’était bien mieux avant ! » ou ceux qui ne vivent que pour le futur… Elle cultive dorénavant l’instant présent : elle hume des huiles, use de fleurs et de méditations.

Elle a appris à prendre soin d’elle et son temps… A dire non… Profiter du moment… Même si par son tempérament et son métier, elle a toujours tendance à tout anticiper. Elle se laisse parfois porter… Enfin pas tout le temps, mais elle essaye… Indéniablement… Idéalement…

  1. D’autres paysages

Elle traverse maintenant les saisons en s’acclimatant aux changements du temps… Son bras gauche est un baromètre… Mal invisible, il se raidit aux premiers froids et lors des fortes chaleurs. Invisible donc inexistant aux yeux des gens. Mais il fait pourtant bien partie de son paysage, elle qui rêvait à d’autres horizons… Elle le remonte encore parfois contre son cœur pour le réconforter lorsqu’elle est trop fatiguée et tente quand même de l’utiliser si elle veut tout envoyer balader… Elle ne se plaint pas, elle a encore l’énergie de décocher une bonne droite à la vie si elle l’ennuie… Et de toute façon, son cœur est une grenade. ( Elle écoute Clara Lucciani… )

9. Coruscante et résiliente

C’était un anniversaire particulier, pas de ceux que l’on fête mais ceux dont on se souvient juste. Un an, deux ans. Elle voudrait oublier mais revoit des flashs de cette matinée…
Elle se souvient, on lui avait dit : « Vous êtes une personne coruscante, vous vous en sortirez… » Coruscante ? Était-ce un mot qu’elle avait effacé de sa mémoire ? Comme le mot « confiance » qu’elle avait de plus en plus de mal à prononcer. Non, ce docteur parlait comme un livre ancien alors elle avait compris que c’était un encouragement, une qualité alors elle s’y était accrochée. Elle avait refusé de basculer, elle avait montré ce qu’on voulait d’elle et elle veut aujourd’hui laisser ça définitivement derrière. C’est la dernière fois qu’elle y pensera. Ou pas…

10.Une entourloupe légale

Elle savait que ce serait compliqué, «la montagne administrative » d’un déménagement et d’un crédit. C’était une envie, un besoin… Elle ne voulait plus marcher sur le carrelage où elle était tombée. Cocon trouvé, Demande de crédit et questionnaire de santé… Vous sentez l’entourloupe ? Vu son passé, son futur n’est pas assuré… Elle croyait être guérie mais pas pour son assureur… Double peine, elle est enragée… Mais elle va avoir une bonne fée au téléphone : «  Il existe une loi pour vous protéger, vous êtes jeune, il suffit de baisser le nombre de mensualités et de rembourser avant vos soixante ans… Le questionnaire de santé disparaît ! Ce n’est pas une entourloupe, c’est un droit! » Désolée monsieur le banquier, à vous de retravailler …

11. Rêve indigo

Elle aime les moments entre amis, les repas de famille et prendre le temps de cuisiner. Elle aime l’arc-en-ciel, cet instant qui sépare un temps de pluie et un rayon de soleil. Sa couleur préférée est l’indigo, elle qui se décline en des tons innombrables et qui confond le ciel et la mer. Elle n’aime pas attendre des résultats d’examen médical et l’atmosphère des salles d’attente. Elle n’aime pas les réunions interminables. Elle sait que le temps est précieux. Elle aime lire et écrire. Elle aime aller au cinéma. Elle aime revoir le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Elle aime faire des listes de « j’aime » ou « je n’aime pas ». Elle revoit ainsi ses priorités et ne fait plus que ce qui lui plaît. (Presque… )

12. Mille fois

Mille fois, elle les a entendues… Les mêmes phrases, les interrogations, les mêmes encouragements. Elle a croisé des regards innocemment intrusifs de gens qui la croyaient bien enterrée. Un légume, était-elle devenue. Soi-disant… Elle ne marcherait plus, c’est à peine si elle parlait… Elle s’en était un peu amusé pour la dérision mais ça l’avait un peu mise en colère… Des questions idiotes sur ses capacités, un manque cruel d’empathie et des cadeaux bien pensants vite jetés à la poubelle. Des encouragements maladroits sur sa jeunesse et son hyperactivité… Mais n’a-t-elle pas le droit d’être juste fatiguée et de relâcher ? Elle voudrait parfois dire avec son joli sourire… « Merci les commentateurs de la résilience, mais taisez-vous… 

13.Épouvanté mais non c’est juste la vie…

Âmes sensibles s’abstenir… Son cycle. Celui de femme revient chaque mois. Quand son corps se réveille d’un long sommeil, c’est un renouveau, une renaissance. On ne doit pas parler par convenance de ce flux carmin qui coule, de sa violence. Mais il se déverse pour elle tous les vingt-cinq jours depuis qu’elle a repris vie. Il emporte avec lui son énergie et sa vitalité le temps de quelques jours et soudain c’est comme une reviviscence. Sa résilience, à chaque fois, c’est les quatre saisons de l’année et les émotions qui la traversent. Elle sait le temps qu’il fait en elle et connaît son rythme. Elle n’en parle pas par conformité à la bienséance : cela pourrait épouvanter les amateurs de film d’horreur… Elle a appris, elle se connaît. Enfin.

14.Sans berceau, sans répit, sans repos.

Ce bras, cette main et ses doigts, c’est son nouveau-né. Il faut en prendre soin toute la journée. Elle se lève avec, sentant les fourmis qui sillonnent et le besoin d’étirer. Elle se demande souvent quand ça s’arrêtera, elle note mentalement les changements, les raideurs et améliorations. Elle ne peut malheureusement pas le poser dans son berceau et tranquillement le laisser. Elle a appris à l’accepter mais pas à vivre avec. Elle sait sa chance, toujours là sur ses deux jambes. Elle se souvient de récits de douleurs fantôme de compagnons amputés… Elle avance seule dans sa rééducation, effectuant des gestes même le temps d’une pause pipi. Elle se masse, se fait masser…Même si elle trouve ce bébé encore un peu récalcitrant… Elle poursuit…

  1. Tempête d’émotions inouïe

Les émotions dans sa vie sont aujourd’hui des compagnes habituelles. Quand elle rit, c’est à gorge déployée et aux éclats. Quand elle pleure, c’est à chaudes larmes. Quand elle a peur et qu’elle angoisse, c’est le petit vélo qui pédale dans son cerveau et lui donne l’idée de scénarios inouïs dont elle pourrait faire les meilleurs romans… Les sentiments de honte ou de culpabilité de ne pas pouvoir en faire plus parfois tourbillonnent telle une tornade et quand c’est la colère qui éclate, elle pourrait déplacer des montagnes… Elle sent, elle voit et a parfois l’impression d’un sixième sens… Elle ne veut plus vivre à moitié et avance avec ces tempêtes sous son crâne, c’est finalement une belle réalité…

16. Au fond de sa pupille

Comme sur un écran de cinéma, quand elle ferme les yeux, sous ses pupilles, elle revit ses matinées. Elle est l’héroïne de son film: en classe, c’est bruyant et les élèves sont un peu fatigants. Ils bougent, ils zappent et parlent fort : elle ne joue plus tout à fait le même rôle qu’avant… Elle a repris mais pour combien de temps… Elle aime son métier mais ça devient un peu compliqué : elle serre les dents et espère encore changer leur vie… Elle écoute Jean-Jacques Goldman… Elle continue à travailler, cherche à les faire avancer et progresser. Malgré tout, elle sait que ça fait aussi partie de son chemin de reconstruction… S’adapter à ses changements et continuer passionnément… Un peu comme avant… La dextérité de sa main en moins…

17.Le double cerveau du stégosaure

Elle en fait trop… En plus de son boulot, des responsabilités et des engagements dont elle voudrait parfois se délester, mais c’est parfois peu évident d’abandonner…

Elle n’en fait pas assez… Elle négocie avec sa conscience : elle pourrait s’imposer plus de nouveaux gestes pour se rééduquer mais elle abandonne… Elle voudrait tellement être comme le stégosaure et avoir un deuxième cerveau pour cette main…

Elle a parfois encore des trous de mémoire et cherche ses mots mais elle s’en sort plutôt bien…

18.Vilipender et haine

Elle. Haine. Elle se souvient… Elle a eu la haine contre elle, contre ce bras, cette main, ces doigts qui ne lui obéissaient pas. Son corps n’était plus son corps. Elle explosait de colère, de douleur et pleurait. Doucement, en silence. Ce membre qui la vilipendait se moquait d’elle. Comme dans une fête foraine où dans le manège, elle ne saisirait jamais la queue de la peluche qu’on suspendait au dessus de sa tête et qu’on tirait brusquement avec un sourire narquois… Ironie cruelle. Elle n’y arrivait pas ou plus… Elle voulait parfois tout lâcher et ne plus se relever. Freiner. Mais au fond d’elle, toujours cette petite voix qui l’empêchait d’abandonner même les jours mauvais. Résilience…C’est facile quand y pense, moins quand on sait…

19. Torsades de vie

Les relations ont aussi parfois changé… Certains se sont éloignés, d’autres sont restés et sont repartis et enfin il y en a qui se sont approchés et rapprochés… Elle sait qu’on ne la comprend pas toujours et qu’on se dit qu’elle en parle trop, qu’elle pourrait passer à autres choses. Ça fait déjà un moment… Elle le sait au fond d’elle que ça sera toujours là. Que ça plaise ou non, ça fait partie d’elle et elle, ça la dérange moins… Elle dompte ses souvenirs. En écrivant… Oublie-t-on un être aimé ? Définitivement ? Non, on vit avec son souvenir. Telle une torsade, elle tresse aussi de nouvelles amitiés, fait de nouvelles rencontres et se reconstruit aussi ainsi en regardant d’autres lumières qu’elle croise sur cette route… Sans être aveuglée, elle est juste éblouie par ces forces…

20.Crocus, épice en plus

Crue, elle ? Elle parle sans filtre de sa vie et de ce en quoi elle a cru… Elle a cru en elle et sa résilience mais parfois elle est cruelle la résilience… Il y a toujours une face cachée derrière le miroir, un revers de la médaille… Mais elle ne peut plus cacher ce que des regards ne comprendront jamais… Mais ce petit épice en plus, c’est comme celui de cette fleur violette qu’elle aime tant. La colchique, qui fleurit pour annoncer la fin de l’été ? Non, ce crocus éclatant qui fait naître cette épice qui transforme les aliments en or, en soleil… Son petit épice à elle qui pimente maintenant sa vie.

21. Triomphe final

Elle, c’est un peu de sa vie qu’elle parle. Elle et son accident vasculaire cérébrale : le mot est plus joli et sérieux que l’acronyme qui la poursuit. Mais c’est aussi peut-être sa vie à elle, en rémission d’un cancer ou d’une autre maladie. C’est elle, aussi, après un accident de voiture ou une « petite » dépression. C’est le chemin de cette mère, cette fille qui traverse le deuil d’un proche impossible à consoler. C’est aussi cette femme qui a vécu le pire et qui n’a pas tout de suite voulu le dire… Mais, c’est aussi peut-être son histoire à lui tout simplement… Ces triomphes de chacun face aux coups durs de la vie qui font espérer : même si pour soi tout sera différent et pourtant tout redeviendra pareil aux yeux des gens… Résilience.